Sensibilité périphérique -1- Récepteurs et relations avec les voies ascendantes

Résumé : la sensibilité périphérique se divise en deux grandes voies : la première nous renseigne sur notre contact fin avec le milieu extérieur (dite mécano-réceptrice) et sur la position exacte de nos membres (dite proprioceptive consciente) ; la deuxième sur le tact grossier, superficiel et viscéral profond, notamment douloureux ; chacune de ces deux voies emprunte un trajet particulier dans la moelle épinière, mais toutes les deux croisent la ligne médiane de sorte que les réceptions sensitives d’un côté du corps sont transmises à l’hémisphère controlatéral expliquant qu’une atteinte de ce dernier provoque une anesthésie du corps du côté opposé ; de plus la première voie se connecte également dans la moelle avec le système moteur à l’origine de la production des réflexes et avec le système cérébelleux permettant au cervelet une adaptation automatique, inconsciente et ultrarapide pour positionner les segments du corps dans les meilleures positions possibles préparatoires à l’action à suivre : c’est la voie proprioceptive inconsciente.

La sensibilité périphérique (dite aussi somesthésie) correspond au ressenti de l’ensemble du corps tant superficiel (de la peau et des plans sous-jacents) que profond (sens de la position des segments du corps et des membres, sensibilité dite proprioceptive) ainsi que de la sensibilité viscérale (qui ne se manifeste en général qu’en cas de souffrance d’un organe) ; on exclue donc dans cette page les organes dits sensoriels (odorat, vue etc…) ainsi que la sensibilité du visage qui sont envisagés dans les pages dédiées aux nerfs crâniens.

On différencie deux grandes variétés de sensibilité : l’une est dite mécano-réceptrice et concerne le tact discriminatif et la proprioception ; l’autre concerne le tact grossier, la chaleur et la douleur qu’elle soit d’origine superficielle ou profonde ; cette division est supportée par des systèmes nerveux différents tant dans la réception périphérique que dans la transmission vers l’encéphale .

A – Réception périphérique mécano-réceptrice :

a) Le tact est assuré au minimum par 5 types de récepteurs différents :

  • En zone pileuse les fibres nerveuses entourent les follicules pileux (fp) et transmettent les influx provoqués par le mouvement des poils ; très importants chez l’animal à pelage ils le sont moins chez l’homme où ils détectent surtout un début de contact.
  • En zone glabre les fibres tactiles sont stimulées par 4 récepteurs spécialisés :
    • Les corpuscules de Meissner (ms) : il s’agit de récepteurs à haut degré de discrimination particulièrement nombreux sur les pulpes digitales et les lèvres : ils siègent dans le derme superficiel (d) pratiquement au contact de la membrane basale de l’épiderme (ep) au fond des papilles dermiques ; ils s’adaptent très vite à la pression permettant de la localiser avec une grande précision et de reconnaître la structure des objets palpés.
    • Les disques de Merkel (mk) réalisent de petite protrusions à la face profonde de l’épiderme au niveau des crêtes épidermiques : plus lents d’adaptation que les précédents ils sont sensibles à la prolongation de la pression cutanée.
    • Les corpuscules de Ruffini (r) : situés dans les couches profondes du derme ils s’adaptent très peu permettant ainsi de transmettre une déformation prolongée de la peau ou des tissus profonds en cas de pression continue ; on en trouve aussi dans les articulations dont ils détectent la position.
    • Les corpuscules de Pacini (p) : situés en profondeur dans la graisse sous-cutanée (gsc) souvent au contact des aponévroses osseuses ou musculaires (m) ils sont formés de plusieurs couches en forme de bulbe d’oignon : ils sont d’adaptation très rapide leur permettant de détecter la moindre vibration d’objets tenus à la main et donc du moment où le contact de l’objet débute ou cesse.

b) La sensibilité vibratoire intéresse les 4 récepteurs signalés plus haut mais avec une prédilection pour les corpuscules de Pacini (vibrations de haute fréquence) et pour ceux de Meissner (vibration de basse fréquence). En clinique la vibration d’un diapason posé sur une surface cutanée est un bon moyen d’explorer la sensibilité mécano-réceptrice ainsi que l’intégrité de ses voies de conduction vers l’encéphale.

Toutes les fibres nerveuses issues des différentes structures précédemment décrites sont myélinisées ( ___ M ____ ) c’est à dire entourées d’une gaine de myéline ce qui leur permet de transmettre très rapidement l’influx nerveux avec des vitesses allant de 90 à 30 m/s ; les trois premières sont conduites vers le plexus nerveux dermique (pl.d) très superficiel ; il s’articule avec le faisceau nerveux cutané (fnc), un peu plus profond, qui reçoit le plus souvent directement les fibres nerveuses des corpuscules de Pacini ; ce faisceau remontera bien entendu via les nerfs sensitifs et mixtes périphériques vers les racines postérieures des nerfs rachidiens qui leur permettront, accompagnés par les nerfs issus de la proprioception de former la voie lemniscale (vl) ; laquelle monte à la partie arrière de la moelle épinière pour rejoindre l’encéphale.

c) La sensibilité proprioceptive consciente. Concerne la sensation des mouvements et du positionnement des différentes partis du corps locomoteur (cad muscles tendons et articulations) ; en principe cette sensibilité (voire page 5 sur la motricité) est assurée par des récepteurs musculaires fuseau neuro-musculaire (-fnm-) et tendineux organe de Golgi (-og-) et des récepteurs de capsules articulaires (-rc-) dont on connait la richesse en corpuscules de Ruffini ; les fibres sensitives issues de ces récepteurs sont non seulement myélinisées (___ M____) mais sont aussi les plus grosses des fibres sensitives, donc capables de transmettre l’influx nerveux à très grande vitesse (120 à 90 m/s) ; elles rejoignent les racines postérieures des nerfs rachidiens pour s’associer aux fibres tactiles de la voie lemniscale et donner ainsi à l’encéphale les renseignements permettant une prise de conscience quasi- immédiate des mouvements et de la position des différents segments du corps ; la somesthésie tactile et la vue complètent également ces informations.

B) – Réception périphérique de la douleur de la température et du tact grossier :

a) Réception dans les aires cutanées et sous-jacentes :

Cette réception est assurée par des terminaisons nerveuses libres (tnl) qui remontent jusqu’à la partie superficielle de l’épiderme ; elles sont avant tout sensibles à la douleur : l’exemple en est fournie par cette piqûre d’aiguille avec libération par les terminaisons de la fibre nerveuse de substances peptidiques déclenchant une réaction en chaîne à la fois cellulaire et biochimique conduisant à un état inflammatoire local qui peut faire durer la douleur un temps beaucoup plus long que le moment limité de l’accident.

Ces terminaisons nerveuses sont aussi sensibles à la chaleur, avec ou sans brûlure, mais aussi au tact grossier comme tend à le montrer le dessin où certaines ramifications entrent en relation avec une zone de pression cutanée : ce tact grossier n’a cependant pas de pouvoir localisateur précis ni de discrimination fine d’intensité.

Elles sont aussi responsables des sensations de chatouillement et de prurit.

Les fibres nerveuses qui les conduisent vers les racines postérieures des nerfs rachidiens empruntent les mêmes plexus dermiques et faisceaux nerveux cutanés que ceux vus précédemment, mais elles sont de diamètre beaucoup plus petit et dépourvues de gaine de myéline : elles sont dites amyéliniques (_____AM______) : elles conduisent donc l’influx nerveux beaucoup plus lentement (2 à 0,5 m/s) ; quand elles atteignent la corne postérieure de la moelle elles ne suivent pas le parcours des fibres mécanoréceptrices ; en effet elles font synapse avec un neurone qui conduit l’influx nerveux sur le coté opposé à celui entrant en formant le faisceau spino-thalamique (fst) qui, contrairement au faisceau lemniscal circule donc en position antéro-latérale et controlatérale.

b) Réception dans les viscères

La sensibilité viscérale suit cette même voie ; il s’agit en effet d’une sensibilité en général douloureuse ou désagréable qui prend naissance au sein d’organes en principe en souffrance : sur le schéma de droite représentant un segment d’intestin on montre quelques exemples de douleurs intestinales possibles : inflammation de l’appendice (i), distension intestinale (d), spasme intestinal (s), etc… ; ces causes sont non limitatives et s’étendent à la majorité des autres viscères (vésicule biliaire, coeur, poumons, etc…).

NB : notons sur le schéma de la coupe de moelle du côté droit la présence de deux faisceaux nerveux : les faisceaux spino-cérébelleux (fsc) qui conduisent la proprioception inconsciente au paléo-cervelet (voir page 4 de la motricité) pour assurer un positionnement adapté des segments corporels lors des appuis ou des changements de position. Leurs influx s’arrêtant au cervelet ; ils ne peuvent être perçus de façon consciente.

L’arrivée conjointe de fibres sensitives porteuses de sensations douloureuses venant des viscères et de fibres transportant la sensibilité superficielle au niveau des cornes postérieures peut induire un phénomène souvent rencontré en clinique : la douleur rapportée ; en effet il peut se produire à ce niveau un contact étroit entre les deux sortes de fibres avec un transfert d’influx de l’une à l’autre : l’excitation transmise aux neurones du transport sensoriel superficiel donne alors au patient souffrant d’un problème viscéral l’impression que l’origine de la douleur se trouve sur le territoire corporel superficiel du nerf correspondant et non sur l’organe en cause en profondeur.

C) – Relation avec la partie initiale des voies ascendantes : FIG 2 et 3

La séparation topographique faite sur la fig.1 entre fibres myélinisées (M) et non myélinisées (NM) n’existe pas dans la réalité ; cette séparation n’a été faite que pour faciliter la compréhension de leurs différences ; au contraire elles sont totalement mêlées du moins au niveau des plans superficiels ; seules leurs destinations dès l’entrée dans les cornes postérieures de la moelle vont les séparer clairement du fait des directions opposées qu’elles empruntent alors vers les centres supérieurs.

La fig 2 montre le devenir des fibres sensitives des sensibilités mécano-réceptrice et proprioceptives conscientes :

  • Une partie des fibres passe directement dans les colonnes sensitives dorsales pour former la voie lemniscale (vl) ; celle-ci croisera la ligne médiane au niveau du bulbe pour se rendre au cortex hémisphérique controlatéral expliquant que des lésions du cortex sensitif d’un hémisphère entraîne une perte de la sensibilité du côté opposé.
  • Une autre participe par (ou sans) l’intermédiaire d’interneurones (in) aux mécanismes réflexes joignant fibres sensitives et fibres motrices (en rouge) qui permettent à la moelle épinière de jouer un rôle majeur dans la motricité réactionnelle automatique.
  • Deux autres voies naissent des connexions entre fibres sensitives et deux noyaux intramédullaires qui donnent naissance aux voies spino -cérébelleuses (vsc) ou voies de la proprioception inconsciente ; en effet ces voies qui sont parmi les plus rapides des voies sensitives sont destinées au cervelet lequel fonctionne de manière totalement inconsciente (voir page 4 de la motricité) ; ce rôle est cependant essentiel car c’est lui qui réagit en urgence pour positionner au mieux les segments du corps, préalable à la réalisation adéquate d’un mouvement volontaire ; deux voies distinctes entrent en jeu souvent simultanément ; la voie spino-cérébelleuse inférieure (vsci) car issue de la partie inférieure du corps ; elle est aussi dite directe car elle ne croise pas la ligne médiane et gagne le cervelet homolatéral par le pédoncule cérébelleux inférieur (pci) ; l’autre est la voie spino-cérébelleuse supérieure (vscs) issue de la partie supérieure du corps ; elle est dite indirecte car elle croise la ligne médiane dans la moelle, monte du côté opposé, puis recroise la ligne médiane à hauteur du tronc cérébral pour pénétrer dans le cervelet par le pédoncule cérébelleux supérieur ; de sorte qu’à l’inverse de la proprioception consciente qui est traitée par l’hémisphère cérébral opposé, l’inconsciente est traitée par l’hémisphère cérébelleux du côté dont les voies sont issues.

La fig 3 montre que les fibres nerveuses amyéliniques par lesquelles transitent les douleurs, la température et le tact grossier font synapse dans la corne postérieure avec des neurones qui traversent la ligne médiane pour former la voie spino-thalamique (vst) ; celle-ci ne change pas de côté jusqu’au cortex cérébral ; ainsi les deux voies (lemniscale et spinothalamique), en empruntant des trajets très différents finiront cependant toutes les deux dans l’hémisphère opposé.

Signalons pour terminer la découverte récente d’une voie lemniscale de la douleur viscérale (vld) modifiant quelque peu la notion classique que cette dernière serait seulement transmise par la voie spino-thalamique ; la compréhension sur les voies nerveuses qui traversent la moelle épinière est encore très incomplète compte tenu de la complexité des enchevêtrements nerveux sur des carrefours aussi denses et sur des surfaces aussi petites !

Éditorialiste
Dr François PERNOT

Médecin Chirurgie Générale retraité

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