Les agnosies – E – Agnosies tactiles

Résumé : Les agnosies tactiles correspondent aux difficultés ou à l’impossibilité de reconnaître un objet par voie tactile, le plus souvent lors d’une manipulation ; l’origine n’est ni un trouble de mémoire, ni une lésion sur les circuits périphériques de la sensibilité ; il faut la chercher dans des atteintes de régions corticales dites associatives ou sémantiques dont la localisation est essentiellement pariétale droite ou gauche ; il est fait mention de deux anomalies un peu différentes mais qui s’y rattachent : l’aphasie et l’anomie tactiles.

Le terme d’agnosie tactile correspond aux cas où malgré l’absence de troubles sensitifs ou moteurs au niveau des mains un sujet ne peut plus reconnaitre par la palpation un objet qu’il reconnaissait de cette façon parfaitement avant son accident.

Cette pathologie est rare si on la compare aux difficultés de reconnaissance dues aux atteintes des voies sensitives allant des récepteurs cutanés à l’aire sensitive primaire des lobes pariétaux.

la fig 1 correspond à une vue simplifiée de la voie sensitive du tact discriminatif, allant ici de la main droite au cortex primaire sensitif (CPS) gauche avec relais au niveau du tronc cérébral (TC), puis du thalamus (Th) ; une atteinte de cette voie ne correspond pas aux agnosies tactiles : celles-ci prennent naissance dans l’atteinte des cortex pariétaux secondaire et/ ou associatif ou des voies intracérébrales qui conduisent de la région qui a permis la reconnaissance à celles qui en permet la dénomination.

Les agnosies tactiles manuelles seront les seules envisagées ici car leur pouvoir d’identification d’objet est en général le seul utilisé dans la vie courante ; rappelons que la palpation n’est pas qu’une simple sensation ; c’est aussi une action mettant en cause la motricité digitale dont l’altération peut aussi être une cause de difficulté. Ces atteintes motrices sont également exclues des agnosies tactiles.

Les véritables agnosies tactiles sont appelées astéréognosies pour indiquer la difficulté à reconnaitre par la seule palpation un objet usuel sans le secours des autres canaux sensoriels (visuels notamment) ; par symétrie avec les agnosies visuelles ont peut les décliner en astéréognosies aperspectives et en astéréognosies associatives ; à côté des astéréognosies on décrit aussi les difficultés de dénomination : difficultés ou impossibilités à décrire l’objet palpé (aphasie tactile) ou à le nommer (anomie tactile).

La fig 2 rappelle les principales aires situées en arrière la scissure de Rolando et dont les fonctions et localisations sont importantes à connaitre pour essayer de comprendre les différences assez subtiles entre ces diverses agnosies tactiles : en bleu le lobe pariétal avec le cortex primaire sensitif (CPS ou S1), les cortex associatifs et de mémoire sémantique situés dans les circonvolutions pariétales supérieure (PS) et inférieure (PI) avec une place particulière pour l’aire dite SII, zone triangulaire située juste entre scissure de Rolando et l’extrémité supérieure de la scissure de Sylvius : c’est également une aire sensitive secondaire dont le rôle supposé est indiqué plus loin. Sont précisées aussi les limites du lobe occipital (LO) qui n’est pas en cause dans ce type d’agnosie et celles du lobe temporal (LT) dont la partie limitrophe avec le lobe pariétal a une importance dans la dénomination et la verbalisation (voir infra).

A – Les agnosies tactiles vraies ou astéréognosies

Astéréognosie est un terme tiré du grec, le mot «stéréos» signifiant «un solide d’une certaine dureté» ; en traduisant mot à mot le terme signifie donc l’impossibilité de reconnaitre quelque chose de dur et de solide par contact corporel ; mais en neuropsychologie il faut l’étendre à tout ce qui a une certaine forme et une certaine consistance, même molle ! On le restreint cependant en général à l’utilisation des mains, seules parties du corps réellement capables de comprendre un objet en le manipulant ce qui permet d’orienter le tact sur ses diverses structures, faces et arêtes notamment. Tout comme pour les autres agnosies, les agnosies tactiles concernent les impossibilités ou les difficultés de reconnaissance d’objets antérieurement connus de celui qui les manipule.

Par symétrie avec les agnosies visuelles on peut différencier :

1  -Les astéréognosies aperceptives

Elles concernent la perte de reconnaissance de la forme et de la consistance de l’objet manipulé ; cette reconnaissance se fait normalement par la projection des voies lemniscales et spino-thalamiques sur l’aire sensitive primaire puis sur les aires pariétales postérieures et notamment le cortex de la circonvolution pariétale inférieure (PI) -fig 3-

Les lésions responsables de ce type d’agnosie aperceptive siègent en général à ce niveau ne permettant plus au sujet atteint de l’apparier à un objet analogue, ni de le dessiner par le simple recours palpatoire. Il ne peut pas non plus en faire une description orale. L’objet reste pour lui un mystère tant qu’il ne peut pas utiliser d’autres canaux sensoriels ; il peut cependant le reconnaitre normalement en utilisant la main opposée (voir infra).

2 – Les astéréognosies associatives

Dans ce cas le cortex associatif pariétal fait son travail normal d’analyse, les lésions responsables étant en principe un peu plus bas situées dans la circonvolution pariétale inférieure (fig4) ; soit elles touchent le cortex pariéto-temporal lui-même où sont rassemblées les mémoires sémantiques sensitives des divers objets connus du sujet, soit elles empêchent la liaison de se faire ; reste toujours en suspens de savoir si cette aire de mémoire sémantique rassemble les différentes afférences des modalités sensitives et sensorielles (tact, audition et vue notamment) ou si chacune a son aire privilégiée tout en communiquant avec les autres ; cette dernière hypothèse paraît plus en accord avec la constatation clinique fréquente de l’indépendance de chacune des formes d’ agnosies d’origine sémantique.

Quoiqu’il en soit le sujet atteint peut faire une analyse tactile correcte ; il peut précisément décrire à l’examinateur les différentes parties de l’objet qu’il manipule ; il peut l’apparier avec un objet identique ; il peut même le dessiner à peu près correctement les yeux fermés et c’est quand il ouvrira les yeux sur son dessin qu’il pourra enfin comprendre de quel objet il s’agissait.

L’atteinte concomitante de SII (qui fait partie de la pariétale inférieure) est très souvent associée à ce type d’agnosie. On a vu en effet à la page physiologie de la sensibilité que cette aire fonctionnait uniquement quand la pariétale ascendante (SI) qui reçoit directement l’ensemble des sensibilités tactiles périphériques, était en action ; on prête à SII le rôle de transmission des influx de SI vers le cortex sémantique tactile ainsi qu’un rôle dans la mise en mémoire tactile des objets en raison de ses relations privilégiées avec l’hippocampe homolatéral.

Ces deux variétés d’astéréognosie sont en principe unilatérales et hétérolatérales, une lésion pariétale gauche provoquant une astéréognosie de la main droite et inversement. Ainsi un objet non reconnu par une main le sera par l’autre.

B – Les aphasies et les anomies tactiles

Dans ces deux cas l’objet est identifié et compris dès la manipulation mais le sujet ne peut ni le prononcer, ni le nommer.

1- Dans l’aphasie tactile –fig 5– les lésions siègent dans le circuit court (ligne et pointillés verts) qui va de l’aire sémantique pariétale (ASP – générale ou tactile spécialisée selon la conception que l’on a de cette aire (v.supra) à l’aire de Wernicke (W) qui permet l’encodage des mots (v.page sur le langage) ; il s’agit donc d’une aphasie due à cette absence d’encodage et provoquant l’impossibilité de dire les mots définissant les objets palpés.

La différence avec l’aphasie globale de type Wernicke est la préservation de l’encodage normal des mots issus des autres aires sémantiques sensorielles ; l’aphasie tactile n’est donc pas due à l’atteinte de l’aire de Wernicke mais à celle des connections que l’aire sémantique tactile contracte avec elle ; ces connections se font vraisemblablement, quelque soit l’hémisphère concerné, vers une région de transfert commune de l’hémisphère gauche très proche de l’aire de Wernicke (située sur l’hémisphère gauche) ; en effet l’aphasie tactile atteint le langage issu de l’exploration des deux mains aussi bien gauche que droite, la fonction langagière restant du domaine quasi exclusif de l’hémisphère gauche.

2- Dans l’anomie tactile –fig 6– schéma montrant le cerveau vu du haut, hémisphères écartés – l’objet ne peut pas être nommé quand il est palpé de la main gauche uniquement ; en effet la pathologie responsable est une atteinte du corps calleux (CC) qui empêche le passage des intermédiaires associatifs (IA) de la région pariétale droite (laquelle recueille la sensibilité de l’hémicorps gauche) vers la région d’encodage du langage située à gauche dans l’aire de Wernicke (W) qui seule peut procéder à cette dénomination ; par contre la sensibilité de la main droite se projetant sur les IA de l’hémisphère gauche, la dénomination de l’objet manipulé par la main droite ne pose pas de problème. Pour rester cohérent avec l’explication précédente sur l’aphasie tactile on peut supposer que le passage des informations sémantiques de l’hémisphère droit stockés sous le terme assez vague d’IA ne passent vers l’hémisphère gauche que par la voie du corps calleux et se dirigent en premier lieu vers cette région de transfert commune précédemment évoquée avant d’atteindre l’aire de Wernicke ; l’anomie tactile ne pourrait alors qu’une forme particulière d’aphasie tactile.

PS : les pointillés bleus correspondent aux voies sensitives croisées qui ne passent pas par le corps calleux comme le schéma pourrait le laisser supposer (revoir la fig 1) ; elles se terminent sur les cortex sensitifs primaires (CSP) avant de rejoindre les IA.

Éditorialiste
Dr François PERNOT

Médecin Chirurgie Générale retraité

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